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Les Écailles d’Argent : Chapitre 5 – Un accueil mouvementé

Titulaire d’une licence en histoire, Marc est un étudiant en archéologie passionné d’arts martiaux et pratiquant d’arts martiaux historiques européens (AMHE). Il nous livre son premier roman : Les Écailles d’Argent.

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Le printemps battait son plein aux abords de la forteresse, les arbres remis des rigueurs de l’hiver étendaient patiemment leurs cimes vers le soleil, dans les prairies les hautes herbes commençaient à recouvrir les tapis de fleurs tandis qu’au couvert des sous-bois les écureuils, campagnols, mulots et autres rongeurs s’affairaient en quête de nourriture tout en évitant les renards et belettes. De nombreux couples d’oiseaux virevoltaient le long des remparts, cherchant vainement un lieu ou faire leurs nids entres les pierres parfaitement jointées.

Les Écailles d'Argent : Chapitre 5 - Un accueil mouvementé

Toute cette discrète agitation passait indifféremment sur les aspirants alignés au garde-à-vous dans la grande cour, ils arrivaient des quatre coins de l’empire, la plupart d’entre eux avaient attendu ce jour pendant des années, si ce n’est toute leur vie. Depuis les remparts, plusieurs Lynx s’étaient réunis pour admirer le spectacle. L’officier instructeur s’avança vers les candidats, c’était un homme plutôt grand et large d’épaule dont le crâne parfaitement rasé accentuait encore la sévérité du visage. Il portait un pourpoint noir bien ajusté recouvert d’une cape verte, symboles des forces du Lynx. À sa ceinture était suspendue une épée longue finement ouvragée, au pommeau gravé avec des armoiries familiales. Il arborait fièrement sur sa poitrine la fibule à tête de lynx, laquelle était entourée d’un cercle d’or montrant son appartenance à l’ordre des saints chevaliers d’Hélis. Il s’arrêta devant les candidats, prit le temps de les évaluer du regard puis commença.

« Repos ! Je suis le capitaine Lenz Meinhard et je serais votre instructeur en chef pour la durée de votre formation. »

Croisant les mains dans son dos et prenant un ton plus solennel il continua :

« Messieurs, il y a peu d’occasions dans la vie d’un homme où on a réellement le choix, ou on a véritablement l’occasion de faire ce à quoi on aspire vraiment. Aujourd’hui vous avez le choix, vous pouvez choisir de vous battre, de combattre cette partie de vous-même qui vous maintient dans la médiocrité. Vous pouvez choisir de tuer la moindre parcelle de faiblesse en vous, de dépasser vos limites et de vous montrer digne de rejoindre nos rangs. Ou alors vous pouvez abandonner face à vos instincts primaires, renoncer à tous vos rêves et retourner vous vautrer dans la fange d’où vous venez ! »

S’engageant au milieu des candidats tout en les fixant longuement du regard il poursuivit :

« C’est trop dur ! C’est trop injuste ! Je ne suis pas assez fort ! Je ne suis pas fait pour ça ! Durant les mois à venir, vous aurez cent fois l’occasion de vous faire ces réflexions, tout le reste de votre vie dépendra uniquement du choix que vous ferez à ces moments-là.

Eswald et Lycus étaient au milieu des rangs, le légat de la seizième légion s’était bien gardé de leur dire que les Lynx n’organisaient que quatre sessions de recrutement par an et qu’il leur faudrait attendre trois longues semaines à faire les basses corvées du fort avant de commencer l’entraînement. Les autres recrues semblaient venir de la fine fleur de l’armée, la plupart étaient surtout des vétérans des Ours ou des Faucons et quelques-uns des Cerfs, apparemment ils étaient les seuls Loups. Beaucoup de candidats étaient de la petite noblesse ce qui était assez surprenant vu qu’ils pouvaient souvent devenir centeniers d’office dans d’autres forces.

« Et surtout, ne vous dites pas que ce n’est qu’un mauvais moment à passer, que vous n’avez qu’un effort à faire pour en être dispensé par la suite. Quel que soit les épreuves que vous aurez à affronter durant votre entraînement je peux vous garantir que vous connaîtrez bien pire sur les champs de bataille. Peu importe ce que vous avez fait avant, peu importe qui vous étiez, peu importe à quel point vous étiez bon dans votre ancienne force. Ici on ne vous demandera pas d’être aussi fin bretteur qu’un Ours, aussi bon tireur qu’un Faucon, aussi discipliné qu’un Cerf ou aussi rapide qu’un Renard, on vous demandera d’être plus que tout ça à la fois ! On vous demandera d’être meilleur que les meilleurs ! Vous êtes chez les Lynx, l’élite de l’armée impériale ! À chaque session les meilleurs soldats de chaque force viennent ici en quête de gloire, et ils repartent la queue entre les jambes ! Vous pensez être différent ? Vous pensez que vos faits d’armes ou vos titres vous valent une exception ? Vous pensez vraiment que j’enverrai des minables comme vous sur le front ? Il n’y aura aucune exception, aucun traitement de faveur, le seul moyen de mériter cet insigne c’est de le mériter, c’est de montrer que vous avez les tripes d’un véritable Lynx ! Et que ce soit bien clair, au premier signe de faiblesse vous n’aurez plus qu’à rentrer chez vous ! Parce que les faibles n’ont rien à faire dans nos rangs ! »

Immédiatement après le discours, on remit à chaque candidat un sac de quarante livres[1] et on les emmena courir à l’extérieur du fort. La course commença tranquillement le long des sentiers qui parcouraient la forêt, mais déjà le poids du sac commençait à se faire sentir. Si Eswald était plutôt endurant il n’avait pas l’habitude de porter une charge aussi lourde, du moins pas en courant. Après de longues minutes et la fatigue commençant à s’installer il devint évident que l’exercice n’était pas un échauffement, mais bien la première épreuve. Alors que le soleil commençait à s’élever dans le ciel et la chaleur à devenir plus pesante, l’instructeur mena le groupe sur un petit sentier grimpant vers la montagne. Eswald essayait tant bien que mal de suivre le rythme malgré les lanières du sac qui lui brûlait les épaules et ses bottes qui commençaient à lui causer des ampoules. Si les autres souffraient, ils n’en laissaient rien paraître, mais du moins avait-il abandonné l’idée de coller au plus près l’instructeur qui continuait à trotter tranquillement sans charge à porter. La matinée avançait et le groupe courrait toujours sur les sentiers escarpés à flanc de montagne. À la fatigue commençait à s’ajouter la soif et l’instabilité du terrain. À bout de force, les questions commençaient à se succéder dans l’esprit d’Eswald, après tout on ne leur avait pas précisément dit de continuer jusqu’au bout ? Peut-être qu’il ne s’agissait que d’une première évaluation pour tester leur endurance maximale ? Quel mal y aurait-il à s’arrêter quelques instants ? Toutes les fibres de son corps, ses épaules, son dos qui supportait chaque foulée comme un choc, ses jambes qui tremblaient sous l’effort, tout son corps le suppliait d’arrêter, mais il n’en avait pas le droit, pas s’il avait la moindre chance d’être éliminé. L’instructeur continuait de grimper inlassablement, à chaque sommet il enchaînait sur le suivant, indifférent à ceux qui s’arrêtait en route. Pas après pas, l’épreuve tournait au calvaire pour Eswald, à chaque foulée le choc semblait plus violent pour ses genoux et les sangles lui lacérait un peu plus les épaules. Il ne prêtait même plus attention aux autres candidats, son champ de vision commençait à devenir flou, l’air sembla lui brûler les poumons à chaque inspiration, mais il fallait tenir. Tenir pour garder le rythme encore un peu, tenir pour mériter sa place, tenir pour se punir d’avoir été aussi lâche, il n’avait plus qu’une idée en tête, une seule pensée : tenir.

Finalement arriver à un petit promontoire rocheux l’instructeur s’arrêta enfin, Eswald et une petite quarantaine d’aspirants le rejoignirent rapidement à bout de force, plusieurs ne purent s’empêcher de vomir. Le sommet en lui-même n’était qu’un contrefort des montagnes du Synorh dont les arêtes majestueuses s’étendaient loin derrière, mais du bord de l’a pic on devait bien dominer le fort des Lynx d’au moins 500 toises[2]. Sans même prendre le temps d’admirer la vue et encore moins de se reposer, l’instructeur regarda rapidement ceux qui l’avaient suivi et reparti de plus belle sur le chemin en contrebas. La descente permit à Eswald de reprendre son souffle, mais avec l’inertie et ses jambes épuisées le sac semblait encore plus lourd et ses douleurs aux genoux ne firent que s’intensifier, pourtant après avoir fait le plus dur il n’était plus question de renoncer.

Aux environs de midi le petit groupe fit enfin son entrée dans la cour de la forteresse des Lynx, exténué, les aspirants tenant à peine debout. Eswald aurait donné n’importe quoi pour pouvoir s’effondrer sur place, mais comme les autres candidats, il fit un ultime effort pour rester debout et maintenir un semblant d’assurance. Durant une attente qui sembla interminable les retardataires arrivèrent au compte-gouttes, quand ils furent enfin tous rentrés l’instructeur pris la parole :

« Je vois que certains n’ont pas compris mon conseil, tant pis pour vous, si vous n’êtes pas capable de suivre une simple randonnée alors on ne pourra rien faire pour vous. Récupérez vos affaires et rentrez chez vous ! J’en suis le premier désolé, mais vous en êtes les seuls responsables. »

La nouvelle causa un choc même à Eswald, il avait dû repousser ses derniers retranchements pour suivre le rythme et il n’en était qu’à la première épreuve. Qui sait s’il tiendrait jusqu’au bout ?

Entre la fatigue et la perte d’une bonne moitié des effectifs, le repas de midi fut particulièrement morose et du reste, assez frugal. Immédiatement après on envoya les candidats chercher leurs paquetages à l’armurerie, seul le matériel réglementaire était autorisé durant la formation : vêtements de terrain, une cape en laine bleue pour les distinguer des Lynx, une épée et une dague d’entraînement, un arc long et des flèches ainsi que du petit matériel de camp.

« On vient de vous remettre votre équipement réglementaire, pendant les trois prochains mois c’est la seule chose sur laquelle vous pourrez compter. Un Lynx sans son matériel n’est rien d’autre qu’une cible et il n’est pas question qu’un Lynx devienne une cible. Ce matériel est sous votre responsabilité, c’est à vous de le surveiller et de l’entretenir, au moindre manquement vous serez renvoyé. »

Les candidats furent ensuite répartis en quatre dizaines, malheureusement Eswald et Lycus furent séparés, les instructeurs cherchant à former de groupes hétérogènes. On leur attribua ensuite leurs baraquements, de simples pièces ouvertes sur l’extérieur, sans porte et avec des lits de paille pour seul mobilier. Sitôt l’installation terminée et sans plus de repos ils furent immédiatement envoyés pour les tests d’aptitudes à l’épée.

Eswald tomba contre un certain Ortwin des forces de l’Ours. À nouveau, il se retrouvait dans cette situation, il avait beaucoup progressé depuis son premier combat contre Lycus, mais il n’avait jamais appris à manier une épée longue et n’avait aucune idée de comment se protéger sans bouclier, du reste il était encore épuisé par la course du matin. Il avança prudemment en garde, leva l’épée au-dessus de sa tête, fit mine d’attaquer à gauche avant de frapper vivement par la droite, mais la feinte ne suffit pas à déstabiliser son adversaire qui bloqua le coup en demi-épée sa main gauche tenant la lame par le milieu et failli porter un coup d’estoc a Eswald qui recula juste à temps. Intimidé par cet avertissement le jeune Loup veilla à garder ses distances et à attaquer le plus loin possible, mais il maîtrisait encore mal son arme et avait du mal à exécuter les enchaînements appris à une main. De son côté Ortwin visiblement surpris par la vivacité de son adversaire se contemplait de parer les coups à distance sans chercher d’ouverture.

— Arrêtez de tergiverser, battez-vous !

N’arrivant à rien à distance Eswald chargea avec une attaque d’estoc pour se rapprocher et tenter de faire une prise à son adversaire, mais ce dernier qui n’attendait visiblement que ça réussit à le déstabiliser et à le projeter brutalement sur le sol. Dans un réflexe Eswald se roula sur le côté et se releva hors d’atteinte sans avoir eu le temps de ramasser son épée, d’un bond en arrière il évita un coup, puis un deuxième et se rua sur son adversaire alors qu’il ramenait son épée au-dessus de sa tête et réussit à attraper son arme par la garde. Pendant quelques instants les deux combattants se débâtirent vainement pour le contrôle de la lame jusqu’à ce que l’instructeur les arrête.

— Bon, ça suffit ! Vous êtes tous les deux aussi mauvais. Aux suivants !

Dès que tous les candidats furent passés, on les dirigea vers le champ de tir à l’extérieur du fort pour les tests d’aptitudes à l’arc. Plusieurs cibles de paille étaient disposées de 15 jusqu’à 50 toises avec même deux cibles à peine visibles à 75 et 100 toises, les instructeurs avaient même eu la délicatesse de rajouter une cible à 30 pieds[3] pour les débutants. Les recrues furent d’abord testées sur un longbow de guerre, mais ce dernier était tellement puissant qu’en tirant de toute ses forces Eswald ne réussit même pas à le tendre à moitié, de fait, seuls les candidats des Faucons réussirent cet exercice. Avec un arc de chasse Eswald montra une précision honorable jusqu’à 25 toises, mais il était encore loin de l’efficacité des Faucons qui montrait une précision et une cadence de tir impressionnante.

Une fois les tests terminés les candidats prirent un dernier repas et allèrent se coucher dans leurs lits de fortune, blottis dans leurs capes, épuisés par les épreuves de la journée et appréhendant ce qui les attendrait le lendemain.


[1] Une livre vaut 0.45 Kg

[2] Une toise vaut 1.95m

[3] Un pied vaut 30.5cm

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